Le Naïf et le Roublard *
Un village isolé sur ses hauteurs, perché
Avait pour richesses, de très beaux paysages.
Des marchands d’énergie par le site, alléchés
Lui tinrent à peu près ce langage :
Hé, Bonjour braves gens de là-haut
Que vos cimes sont jolies, que vos sommets sont beaux !
«Que nous vaut tant d’honneurs?» demandent les villageois
Qui flattés et surpris ne cachent pas leur joie.
Roublard le marchand d’énergie plein de suffisance
Déclame ainsi à l’audience :
«Le label énergie dont vous nous glorifiez
Vaut bien sacrifices, vos crêtes un peu ventées ?»
Perplexes mais tentés, les naïfs rétorquent sans louange :
«De toute ces nuisances, qu’aura en cadeau, le bon peuple en échange ?
Des postes de travail ? Un abattement fiscal ? Notre propre énergie ?»
Que nenni répondent Roublard et ses disciples, feignant pédagogie :
«Quelques kilowattheures, chèrement arrachés,
Noyés dans le réseau, seront leur destinée
Et pour les citadins, leurs besoins suppléer.
Le doux contentement de la bonne conscience
Du sacrifice offert à notre belle planète
Et la notoriété sont belles récompenses
Qui devraient bien suffire à tous vous contenter ?
Sans mentir, si votre candeur n’a d’égal que votre vigueur
Et si, vous le bon peuple, n’êtes pas consultés,
Au moins serez les pionniers, d’un projet ici contesté.»
Grisés par tant de mots, ils n’en peuvent plus de joie.
Tant de paroles flatteuses comblent les villageois
Et pour sceller cette célébrité, quelqu’ écus chichement distribués,
Ils ouvrent grand les bras et signent les contrats.
Roublard et ses disciples s’en saisissent et disent :
«Braves gens de là-haut, sachez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute.
Cette leçon vaut bien six éoliennes sans doute ...»
Le village berné et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
* d'après Jean de la Fontaine revu par Marianne Reymond (canton de Vaud, Suisse)
et un villageois du Haut Buëch
et un villageois du Haut Buëch
